A.    Sur les traces de mon Identité

 III.            Podcast : Identité de la première génération des immigrants en France.

 

1.      Introduction

 

Dans un précédent podcast, nous avons abordé pourquoi les pakistanais choisissaient de quitter leur pays, pour quelles raisons ils ont pu choisir de venir en France et quelles étaient les difficultés psychologiques et matérielles auxquelles ils étaient confrontés lors de leur intégration. Continuant sur le thème d’identité, dans ce nouveau podcast, on se propose d’explorer celle de la première génération des immigrants pakistanais. Comment ils font face à la séparation de leur famille. Comment ils gèrent la peur, quels métiers ils exercent et lorsqu’ils obtiennent les papiers, quelles sont leurs difficultés. Je pense qu’explorer l’identité de cette première génération de migrants est vraiment essentiel afin d’éviter de donner une occasion à ceux qui vont écouter le prochain podcast de mettre la responsabilité sur la première génération. C’est facile pour moi, issue de la deuxième génération, de parler que de mes problèmes. Mais cela se passe dans un contexte donné.

2.      Origines

Sans plus tarder on va donc aborder la première phase de départ du Pakistan. Nous avons déjà abordé les raisons de départ, je vais rapidement évoquer leurs origines. Mariam Abou Zahab, chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, dans un article paru en 2007 a identifié les régions de départ du Pakistan. Il s’agit surtout des villages autour de Gujrat, Mandi Bahaddin, Faisalabad, Sahiwal et Sargodha. C’est pour ça que la plupart des migrants dans les années 70 étaient peu éduqués. Ali, un pakistanais issue de la deuxième génération des immigrants réagit lorsqu’il se heurte parfois à leur mentalité : « Les pakistanais éduqués sont plutôt partis vers les pays anglo-saxons pour faire valoriser leur diplômes, le problème en France c’est qu’on se retrouve qu’avec des paindus (paysans) avec lesquels il est difficile d’avoir des discussions logiques. » Cette affirmation est confirmée par Christine Moliner dans son rapport intitulé « Invisible et modèle ?  Première approche de l’immigration sud-asiatique en France » selon lequel, les migrants sud-asiatiques qualifiés auraient trouvé des emplois aux Etats-Unis, Canada et Australie. Il y a toujours des exceptions : c’est le cas d’Abdul Qadeer Khan venu en Allemagne faire ses études en 1960 et ensuite a travaillé en tant qu’Ingénieur au Pays Bas. Il a ensuite fait du Pakistan une puissance atomique. Il a sans doute été inspiré d’Allama Iqbal, le grand poète de l’Est qui a fait ses études supérieures en Angleterre et en Allemagne à partir de 1905.
Mais être issu d’un village a ses avantages. Les villages sont constitués de communautés qui sont très solidaires entre elles et souvent occupés par une seule et même biraderi ou caste. Biraderi étant toute la famille proche et lointaine. On dit qu’il faut un village entier pour élever un enfant, et bien c’est tout ce monde qui va se réunir pour mettre des fonds en commun pour payer les frais de départ. Car il faut partir de leurs villages respectifs à Islamabad pour faire une demande de visa ou sinon chercher un agent pour faire l’intermédiaire. Je ne vais pas m’attarder sur l’actuel processus qui diffère mais une chose est certaine : il est semé d’embûches.
Pour certains, le voyage s’arrêtera avant même d’avoir commencé à cause de fraude par l’agent. Lorsque cependant, la personne réussi à obtenir un visa (touristique ou autre), il va pouvoir passer par les phases d’après. Je vous encourage à lire le périple de Sham dans un article de France 24, intitulé « Les hébergés »[1] : il est passé par l’Iran, Lesbos et Athènes avant d’atterrir à Orly. Il dit que

« Si on m’avait dit à quel point ce serait dur, je ne serais jamais venu ».

3.      Le déchirement et les limbes

Son portable, c’est son lien avec sa famille : il regarde les photos de sa sœur. « Là, c’est ma sœur. Elle a la peau plus claire que moi. Elle se marie en février. Je ne serai pas là… C’est le premier mariage de ma famille auquel je n’assisterai pas ». Il y aura d’autres occasions de naissances et décès. En situation irrégulière, ils ne pourront y assister. Ces regrets les rongeront à vie forgeant leurs caractères.
D’autres sont venus rejoindre un membre de leur famille ou biraderie déjà sur place. La première génération a des liens très forts avec la famille en France et au Pakistan. Ils vont ainsi s’entraider pour trouver du travail, s’héberger et même s’associer plus tard pour travailler. Cela crée une sorte de société où chacun a une dette de reconnaissance envers un autre,  qui les a aidé dans un temps où il n’avait pas grand-chose lui-même. Et ils ont des devoirs financiers envers leur famille au Pakistan. Selon une étude de Percot & Robuchon datant de 1995. « Il s’agit là d’une obligation morale, le contre-don à l’aide qu’ils ont eux-mêmes reçue à leur arrivée en France »

4.      La peur au ventre : clandestinité

Ces nouveaux arrivants vont passer par une phase de clandestinité. Et vivre en clandestinité, c’est comme si le monde se refermait sur eux. C’est une situation de stress permanent après tant de sacrifices de tout perdre. Imaginez-vous un instant qu’à chaque fois que vous sortez de votre appartement, vous avez la boule au ventre de se faire prendre. Imaginez ce qu’est de vivre dans une société en se sentant indésirable. Pour les plus anxieux d’entre nous, on peut le ressentir aujourd’hui, lors du confinement en sortant sans attestation par exemple
« Je peux vous assurer que si les Pakistanais savaient ce qu’ils allaient endurer en voyageant illégalement et que leurs rêves seraient brisés en Europe, aucun d’entre eux ne le ferait. » témoigne Sahhid Ali dans un article sur le site informigrants.net[2]

5.      Nature de travail

La première génération va être surexploitée : ils travailleront à la journée comme ouvriers à l’usine, dans les ateliers de confections et dans le bâtiment. Ils aspireront à devenir leurs propres patrons après ces expériences terribles. Le résultat de la recherche d’Abou Zahab va aussi dans ce sens.
Avant la politique de François Mitterrand de fusion de la carte de travail avec la carte de séjour et d’en finir avec le cloisonnement par métiers, ils feront l’objet d’une discrimination de la part de leurs employeurs. Il était aussi impossible de fonder des entreprises en leurs noms propres. Les français servaient de prête-nom dont certains se contentaient de s’assoir à la caisse et d’autres ne se montraient même pas. Dans les deux cas ils recevaient une contribution mensuelle sur leurs comptes.
Alors c’est naturel qu’ils aient de l’aversion pour un pays qui a dévoré leur jeunesse dans des conditions terribles. En plus de difficultés de travail, ces garçons qui étaient des rois à la maison en tant que garçon, d’autant plus que dans les villages le clivage homme-femme était encore plus important qu’ailleurs, devaient mettre la main à la pâte : ils vivront à plusieurs dans des studios où ils devront cuisiner, laver leur vêtements, faire le ménage etc.
Comme en témoigne Sham « Mes sœurs faisaient tout pour moi […] elles nettoyaient même mes chaussures »

6.      La difficulté des papiers

Une des difficultés supplémentaires des pakistanais est que contrairement aux indiens venants des anciens comptoirs français, ils ont un handicap de langue qui ne facilite pas les choses. Maintenant, imaginez quelqu’un qui est né en occident apprends plusieurs langues, fait un métier et choisisse d’intégrer une entreprise dans un nouveau pays. Non seulement on l’accompagne avec un « package » déménagement mais aussi, on lui offre des cours de langue. Ainsi est fait le monde. Les avantagés semblent accumuler les avantages et les personnes en difficulté sont écrouées sous les épreuves. Sham poursuit son témoignage « Ma première année a été vraiment très difficile, parce qu’en plus des problèmes de boulot, de papier et de logement, il y avait le problème de la langue… Il fallait toujours que je trouve quelqu’un pour m’accompagner partout : chez le médecin, à la préfecture… »
Pour demander l’asile  il faut d’abord pouvoir atteindre le pays d’intérêt. Puis, déposer le dossier. Le processus d’acceptation prend du temps (voire des années). Et ce n’est pas parce que vous avez fait une demande d’asile qu’elle va être acceptée. Shahid Ali par exemple a déposé son dossier en Grèce, en France et en Italie et essuyé que des refus.
François Mitterrand durant son premier septennat en août 1981 produira une circulaire précisant les conditions de régularisation exceptionnelle instaurés en faveurs des travailleurs clandestins et des autres immigrés en situation irrégulière selon un article paru dans Le monde qui récapitule les dates clés de l’immigration en France.[3]
Lorsqu’ils obtiennent les papiers pour le renouvellement, ils doivent faire de longues queues devant la préfecture. Certains vont même camper devant la préfecture toute la nuit devant la préfecture afin d’avoir un rendez-vous.
Une fois qu’ils auront pu obtenir les papiers, un processus de regroupement familial va commencer. Et la génération d’après aura un tout autre genre de problèmes.

7.      Réussite

Après une vie en communauté, les immigrants pakistanais se préparent à une vie de solitude. Christine Moliner identifie ce schéma dans son rapport : « Comme pour les autres courants migratoires, le type de logement occupé dépend des étapes du cycle migratoire et du cycle de vie : location de petits appartements vétustes occupés à plusieurs hommes seuls, pendant la phase de migration masculine ; location d’un appartement plus grand pour le regroupement familial, puis achat d’un appartement ou d’un pavillon. »
Ils choisiront de vivre loin de quartiers communautaires afin de favoriser l’apprentissage de la langue française. Une jeune fille de la deuxième génération témoigne « c’est parce qu’il trouvait que le quartier devenait trop communautaire et que ça allait nuire à l’évolution de ses enfants, à l’apprentissage du français [qu’on est partis]. »
La première génération de pakistanais est de deux types.

  1. Ceux qui reconnaissent l’importance des études pour offrir d’autres perspectives à leurs enfants. Ceux-ci sont souvent eux même éduqués mais leurs diplômes ne sont pas reconnus en France. A défaut de leur réussite, ils veulent voir leurs enfants réussir et mettront tous les moyens en place. En effet, l’école joue un rôle central dans le projet migratoire, elle est perçue comme l’instrument principal de sa réussite.
  2. Le deuxième type est celui qui a l’âme de l’entreprenariat. Toute la famille contribue à l’entreprise familiale. Les formations de Comptable sont assez courantes pour les enfants des tenants de commerces ethniques.

Au regard de leurs parcours, les individus de la deuxièmes génération ne peuvent qu’être reconnaissants quand leur parents les désignent comme leur propre réussite. C’est un plaisir de les voir sourire lorsque les profs principaux leur remettent des bulletins après leur journée éreintante de travail. Enfin, lorsqu’on leur présente nos diplômes dans leurs mains abîmées par la nature de leur travail, on sait que sans eux on n’y serait pas arrivé.
Ils auront tenu à sacrifier leur santé et leur temps pour la deuxième génération. Ils nous auront offert le confort d’un pavillon dans le banlieue. Les structures d’état n’étant pas efficients, ils auront recourt encore une fois à la communauté pour l’achat d’un bien. Les Pakistanais, étant plus pratiquants que les autres dans leur religion ont du mal avec le principe de crédit qui inclut l’usure qui est interdit en Islam. Déplorant l’absence d’une banque qui respecte ce principe ils vont limiter au maximum le recours au crédit. Cette logique est corroborée par le rapport de Christine Moliner, intitulé « Invisible et modèle ? Première approche de l’immigration sud-asiatique en France ». J’attire l’attention sur le mot « invisible ». La première génération se fera toute petite et fera toutes sortes de boulots ingrats. Ils ne seront pas en mesure d’imposer ou demander quoi que ce soit au gouvernement et le gouvernement s’acharnera sur leurs mœurs en interdisant le voile à l’école pour leurs enfants (2004). A l’inverse en Allemagne par exemple, les ingénieurs pakistanais sont nombreux, et demander à leurs entreprises un endroit pour prier ne relève pas de tout de l’impossible. La conclusion à garder est que plus vous serez compétents, plus vos demandes seront prises en compte. Cependant, maintenant, la seconde génération ne devrait pas être timide de leur héritage culturel. Nos parents ont payé une vie de main d’œuvre bon marché !

8.      Conclusion

Ce sujet est bien trop complexe pour pouvoir le décortiquer sur un temps aussi court mais nous permet néanmoins d’éviter d’entrer dans le « blame-game ». Ce jeu qui consiste à accuser la première génération d’avoir fait des choix qui pèsent sur la seconde génération. A présent nous avons un peu plus de contexte pour connaître la première génération et on peut aborder avec un peu plus de sérénité l’identité de la seconde génération. Pour aller plus loin, vous pouvez lire les romans de Khalid Hosseini tel que Les Cerfs Volant de Kaboul, et Si la lune éclaire nos pas de Nadia Hashimi. Ces deux livres racontent des périples d’immigration à travers des continents.

 

Special thanks to Charlotte Attal to let me use her image as the header of this article. Cela fait parti d’un projet « Identités dérascisées » réalisé par Charlotte Attal (designeuse graphique) et Emelyne Chemir (designeuse textile). Pour en savoir plus : charlotte_attal

[1] https://webdoc.france24.com/heberges-migrants-refugies-sham-paris-habitant-accueil-singa-samu-social-france/
[2] https://www.infomigrants.net/fr/post/13131/shahid-ali-migrant-pakistanais-l-europe-n-est-pas-comme vous-l-imaginez
[3] https://www.lemonde.fr/societe/article/2002/12/06/les-dates-cles-de-l-immigration-en-france_301216_3224.html

Vous pouvez également aimer :