A. Sur les traces de mon Identité
VIII. Entre inclusion et exclusion : une étude de Sonia Butt-Awan
1. Introduction
Nous avons parcouru ensemble dans les précédents podcasts le chemin emprunté par la diaspora Pakistanaise en France. J’ai eu de la chance de pouvoir lire la thèse qui s’intitule Entre Inclusion et exclusion, une étude comparative des Pakistanais en France et les Pakistanais à Oldham, en Grande bretagne de Sonia Butt-Awan qui vient d’être publié en Septembre 2020.
Salam aleekum Sonia, je suis très contente de pouvoir discuter avec toi aujourd’hui.
Plaisir Partagé ! Merci de m’avoir invitée sur ton plateau.
2. Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Oui bien sûr ! Je suis doctorante à la Sorbonne Nouvelle et ma recherche de doctorat se focalise sur la Diaspora Pakistanaise en France. Mon mémoire de M1 traitait du syndicalisme au Port de Karachi dans l’empire britannique. L’année d’après, j’ai fait ma dissertation de M2 sur le statut comparé des Pakistanais ici et au Royaume Uni, et j’ai eu un retour très encourageant pour ce travail de recherche, c’est pourquoi j’ai décidé de faire un doctorat.
3. Pourquoi tu as été amenée à faire cette étude ? Dans ce domaine où il y a finalement peu de noms familiers (à consonance orientale)…
Je me posais beaucoup de questions sur les Pakistanais en France. Les Pakistanais que l’on voit un peu partout, des hommes seuls et sans papiers, sont très différents des Pakistanais qui sont venus travailler en France dans les années 1970, et qui sont finalement restés en France. Je voulais mener l’enquête pour pouvoir présenter, écrire et décrire la communauté Pakistanaise de France, une communauté d’environ 100 mille personnes aujourd’hui et un peu plus si on compte les sans-papiers. Et c’est justement le fait qu’il y ait si peu de recherche sur cette Diaspora que moi je m’y suis intéressée. Au départ, ma recherche devait se focaliser sur les Pakistanais de France mais finalement, j’ai fait une étude comparative et tout compte fait, c’est bien mieux comme ça car la comparaison permet de mettre en évidence pas mal d’aspects auxquels on ne pense pas autrement
4. Tu commences ta thèse par une citation de Kalra :
Si la migration a pu être au cœur d’une formation d’une nation-état, alors Pakistan est le meilleur exemple de pays émergeant des mouvements de peuples… Les implications indirects de la partition sont encore de nos jours au stade d’exploration mais il est possible de supposer que le déracinement massive initial a provoqué une sorte de dislocation psycho-social et qui facilite les migrations futures plus facile à entreprendre.
Est-ce que tu penses que la diaspora actuelle de quelque pays que ce soit est voué à errer ? Chaque génération marquée par sa migration ?
J’ai été très marquée par la citation de Kalra et impressionnée par le travail exceptionnel qu’il avait fait sur les Pakistanais d’Oldham en 2000, juste un an avant les émeutes. Ceci dit, oui chaque génération est marquée par la migration et par son statut ‘issus de l’immigration’ mais ce n’est pas pour autant que toute Diaspora d’un pays quelconque, soit vouée à errer ou à échouer. Et justement, ma recherche actuelle se focalise sur le transnationalisme…. Aujourd’hui il n’est plus question de rester ou de rentrer mais de construire des ponts, créer des liens, jouer la carte de la double identité, sans être déloyal ou désengagé pour autant ……
Effectivement je suis d’accord que maintenant un travail d’un autre genre doit commencer.
Tu as pris comme étude de cas deux villes : La ville de Villers le Bel et Oldham. Le profil de personnes qui sont venus en France dans les années 70 sont plus tôt des jeunes hommes punjabis relativement éduqués et les ‘babas’ qui s’installent à Oldham sont des Mirpuris dans leurs trentaine dans les années 50. Ces deux populations ont des trajectoires différentes.
5. Tu peux par exemple de nous parler des mirpuris d’abord ? Comment ces deux populations vont s’adapter à leur pays d’accueil ?
Pour moi, la découverte des Mirpuris fut très intéressante et révélatrice d’un point de vue anthropologique et sociologique. Même s’il est vrai que des milliers d’hommes ont quitté leurs villages lorsque le gouvernement décida d’y construire un réservoir d’eau, les habitants de Mirpur étaient déjà très mobiles bien avant cela. Mais, dès 1962, la construction du réservoir se présente comme une opportunité unique. Le gouvernement Pakistanais délivra des passeports, des visas et parfois même des promesses d’embauche à ces hommes, qui eux finalement n’étaient que des agriculteurs et des fermiers illettrés. Une fois arrivés au Royaume Uni, même s’ils ont réussi à trouver du travail dans les usines de coton du Lancashire, ces hommes ont fait très peu d’efforts pour vraiment s’intégrer, apprendre l’anglais ou le savoir-vivre à la British, ou bien même sociabiliser d’une manière quelconque. Ils pensaient rester quelques années et rentrer au pays, d’où le fameux mythe du retour. Or, dans les décennies suivantes, avec l’arrivée des familles, les choses se sont empirées car les nouveaux arrivants ont bénéficié de l’aide des familles déjà installées.
Ainsi, des communautés minoritaires se sont formées et installées à Oldham sans qu’il n’ y ait aucune tentative de créer des liens avec les habitants blancs de la ville. Ces Mirpuris, hommes et femmes, pratiquaient un Islam barbare, à connotation sufi, fondée plus sur des superstitions que sur les textes sacrées. Au lieu de manœuvrer pour la construction de bonnes écoles et une amélioration de leurs conditions de vie de quartier, ces Mirpuris ont insisté sur la construction de mosquées. Dans les années 1980, alors que les usines de coton se fermaient l’une après l’autre, des pères et des fils se sont tous retrouvés au chômage en même temps. Cependant, les élus travaillistes ont bien profité de l’ignorance de l’électorat Mirpuri sans donner grand-chose en retour. Cela dit, Oldham n’était pas une ville très accueillante et dynamique, au contraire c’était l’une des villes les plus pauvres du Royaume Uni ; une ville travailliste ou les partis politiques d’extrême droite et les nationalistes blancs étaient très actifs voire agressifs et malveillants vis-à-vis des communautés d’origine étrangère. Il va sans dire que l’intégration est un processus qui va dans les deux sens.
6. En France qu’est ce qui était différent ?
A peu près tout dirais-je. Les migrants Pakistanais des années 1970s étaient des hommes venus des grandes villes du Punjab et pas mal d’entre eux avait fait des études. Ils appartenaient souvent à des familles relativement aisées car pour partir travailler en France, il fallait financer le voyage. Habitants de moyennes et grandes villes, ils avaient eu accès au cinéma et à la radio pakistanaise ourdou et c’est aussi à travers ces média que ces hommes ont trouvé des modèles et pris connaissance des modes et des tendances. Désormais, ils rêvaient d’une vie meilleure. C’est pourquoi, arrivés en France, ils ont tout de suite apprécié le mode de vie français et l’opportunité qui se présentait à eux. Ils ont trouvé du travail dans les usines ou ateliers de Paris et ses environs et ils se sont tous dispersés au fil du temps. Ça c’était bien, parce que justement, ça leur a permis de s’intégrer, d’apprendre le français, de socialiser et de se faire des amis. Une fois qu’ils ont obtenu le droit de travailler et de vivre en France, ils sont retournés au Pakistan pour se marier mais pas avec n’importe qui. Ils se sont souvent mariés dans des familles plus aisées et plus urbanisées. Et pour la même raison, une fois en France, ces femmes pakistanaises ont, pour la plupart, réussi leur intégration mais aussi la réussite scolaire de leurs enfants……
Ceci dit, n’oublions pas que les modèles sociaux français et britanniques sont très différents. En France, la formation de ghettos ethniques et le communautarisme sont mal vus, et on met l’accent sur l’intégration de l’individu. Au Royaume Uni, il y a plus de liberté pour la pratique religieuse, et tout comme aux Etats Unis, les notions de multiculturalisme et communautarisme sont largement répandues et acceptées. Or, au Royaume Uni, dans beaucoup de villes, le secteur du logement est quasi monopolisé par les bailleurs privés, il en est de même pour les zones pavillonnaires ou devenir propriétaire est un jeu d’enfant. Malheureusement, cela crée un contexte facilitant et favorisant la formation de ghettos ethniques. Ainsi, par crainte d’injures raciales ou d’agression, les communautés minoritaires ont souvent eu tendance à rester dans certains quartiers, sans faire aucun effort d’apprentissage ou d’intégration. C’est un peu ce qui s’est passé à Oldham….
7. Une des grandes difficultés des Mirpuris c’était l’absence de modèles n’est ce pas, ils se sont contentés de peu.
D’une certaine façon, oui, peut-être, mais n’oublions pas que dans les usines, ces Mirpuris travaillaient avec des responsables qui étaient souvent Punjabis. Eux au contraire ont pu bénéficier de la mobilité sociale et d’un cadre de vie meilleur, ils ont aussi réussi leur reconversion professionnelle même en restant à Oldham. Ils auraient très bien pu servir de modèles aux Mirpuris … C’était quand même une opportunité en or que de se retrouver au Royaume Uni, et être citoyen de droit. Mais malheureusement, ils ont accepté des mauvaises conditions de vie et de travail, ils sont restés dans le déni en se faisant croire que leur séjour au Royaume Uni serait de courte durée. S’il y avait vraiment quelqu’un qui avait besoin d’un modèle, c’étaient les enfants qui vivaient dans ces foyers défavorisés et dans ces quartiers précaires. Ici, pas question de réussite scolaire ou sociale mais plutôt de mariages arrangés entre cousins. Ainsi, à aucun moment ces hommes et femmes n’ont-elles essayé de rompre le cycle de la pauvreté et de l’ignorance, ni de questionner leurs propres croyances et pratiques culturelles ou religieuses …. D’où le fameux adage: Dis-moi d’où tu viens, je te dirai où tu vas …. En fin de compte, ces Mirpuris sont restés fidèles à qui ils étaient et d’où ils venaient….
8. Et un des atouts des jeunes franco-pakistanais c’est qu’il avait des parents ambitieux.
On peut appeler ça ambitieux, si on veut, mais en réalité c’est qu’ils étaient suffisamment éveillés et relativement urbains pour se rendre compte de la chance qu’ils avaient eu. En comparaison, en France, les berbères d’Afrique du Nord ont eu les mêmes difficultés d’intégration que les Mirpuris au Royaume Uni car ils étaient eux aussi ruraux. Il faut être conscients que dans toute société occidentale moderne, l’intégration demande de réels efforts, un engagement inébranlable. Mais aussi, l’intégration commence avec la première génération car ce sont les parents qui montrent le chemin aux enfants, ils apprennent le respect de l’autre mais aussi des valeurs de l’autre. J’ai pu constater qu’en France les mamans des années 1970s et années 1980s ont pu trouver le juste milieu entre l’assimilation et l’intégration. Cette première génération a compris qu’on ne peut réussir que si on accepte de s’intégrer, ou au moins jusqu’à un certain point et sans oublier pour autant qui on est, ou d’où on vient ….
9. Donc pour toi qui étaient les plus inclus dans leur société ?
C’est une question difficile. Ma recherche démontre qu’en termes de réussite économique et sociale, ou ce qu’on pourrait qualifier d’une amélioration du niveau de vie et de mobilité sociale visible et quantifiable, les Pakistanais en France sont gagnants et mieux intégrés dans la société d’accueil. Cependant, ils n’ont pas réussi à intégrer la sphère politique française, même au niveau local ou municipal, ce qui est quand même dommage.
10. Ce qu’on remarque à travers ton étude est que le biraderi a joué un rôle mineur et plutôt positif de l’entraide en France. Mais par contre en France les castes ont quand même érigé des barrières pour les mariages…
Il est vrai qu’en France, le biraderi a joué un rôle plutôt réduit car les Pakistanais qui se trouvaient ici, venaient souvent de villes ou villages différents, parfois même éloignés. Le biraderi est cependant resté très influent au Royaume Uni, surtout dans le domaine du mariage. Or, je ne pense pas qu’en France, le biraderi ait érigé des barrières ou imposé des restrictions dans le cadre du mariage, et le cas que je mentionne dans mon mémoire est un cas, dirais-je, extrême et isolé. C’est avec un certain soulagement que je peux dire que l’accès à l’école publique, puis à l’enseignement supérieur ont permis à la plupart des franco-pakistanais de 2e génération de choisir leur partenaire et d’avoir leur mot à dire. La difficulté que je vois aujourd’hui c’est que les filles ont fait beaucoup plus d’études que les garçons, et naturellement elles sont plus exigeantes comparée à la génération précédente. Du coup, trouver des rishtas devient beaucoup plus difficile, sachant que la communauté pakistanaise en France dépasse à peine les 100 mille personnes. Mais les parents aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles et raisonnables qu’avant, ils essaient tout de même de faire du matchmaking au lieu d’imposer leurs choix aux enfants.
11. J’aime beaucoup le portrait complexe que tu as pu nous fournir. Je trouve que c’est assez objectif. Que ce soit au niveau de racisme, les problèmes des classes sociales défavorisées locales vis-à-vis des mirpuris. Les mirpuris ont fait le choix d’entre-soi pour ne pas contaminer leur façon de vivre. Mais les pakistanais en France (des hommes généralement ) se sont souciés de la religion que lors de regroupement familial. Est-ce que la religion c’est une affaire réservée aux femmes ?
Alors je pense que les hommes Mirpuris se sont en effet souciés de la religion dès le début raison pour laquelle ils n’ont pas voulu sociabiliser ou s’intégrer, ou comme tu le dis, ils ne voulaient pas contaminer leur façon de vivre ou de laisser leurs propres valeurs et croyances se diluer. Puisqu’ils percevaient leur séjour au Royaume Uni comme temporaire, ils n’ont fait aucun effort pour rendre leur existence un peu plus en conformité avec la ‘norme occidentale’. En comparaison, les Punjabis du Royaume Uni et ceux de France ont eu bien plus de succès dans ce sens là, ils ont vite évalué la situation et le mindset des anglais et des français, pour dresser un constat et s’adapter! Les Pakistanais de France ont vite compris ce qu’était la laïcité, et puis les années 1970s, c’était aussi la période ou le racisme frappait les Algériens de plein fouet, donc en France la religion c’était à la maison! Ceci dit, je ne pense pas que la religion soit une affaire de femmes mais les hommes, les migrants, étaient venus surtout pour travailler et lors du regroupement familial, les femmes ont vite rappelé les hommes à l’ordre ! Après, avec la naissance des enfants, les mamans ont eu la responsabilité de les éduquer et de leur apprendre le Coran à la maison…Je pense que pour nos mamans, c’était un peu comme une évidence, si elles ne le faisaient pas, personne d’autres n’allait le faire à leur place …..
12. Tu conclus très justement que l’inclusion totale est en mythe et chacun place son cursus en fonction de certains facteurs. Tu es une maman aussi, aujourd’hui. Comment en tant que mère tu vis cette dualité ? Est-ce que tu sens que tes enafants se posent des questions ?
Oui, bien sûr, c’est pas toujours facile de trouver le juste milieu quand on est issu de l’immigration mais qu’on doit vivre et élever ses enfants dans une société occidentale laïque. Je ne dirai pas que je vis mal cette dualité mais je pense que mes enfants ont parfois du mal à comprendre d’ou ils viennent, qui ils sont, quelle est la culture pakistanaise, ce qu’est l’Islam… Tout cela, il est important de le faire connaître à nos enfants pour qu’ils soient bien ancrés dans leurs vies. La double nationalité, c’est une force, avoir une double culture, c’est une richesse. Et pour ceux qui se posent des questions, je dirai, allez chercher les réponses, essayer de mieux vous connaître et aussi de connaître les autres.
13. Conclusion
Subhanallah, cette réponse me touche énormément et touchera certainement les auditeurs J Il est temps pour nous de plier bagage.
14. Avant de partir Sonia, Aurais-tu quelques choses à ajouter ? Un message à faire passer aux gens qui se pose des questions sur leurs identités ?
Je ne sais pas si je suis sur le bon plateau pour dire cela mais oui, je voudrais dire, continuez d’apprendre, n’arrêtez pas vos études, il n’y aucune honte à être le senior de la classe et la maturité intellectuelle, c’est un don aussi. Je vois malheureusement beaucoup trop de jeunes qui ne finissent pas leurs études et cela m’attriste, c’est vraiment dommage. Pour ceux qui se posent des questions sur leurs identités, encore une fois, lisez, cultivez-vous! Je suis sûre que dans les livres, vous trouverez pas mal de réponses.
Exactement ! je ne peux qu’appuyer cette recommandation. On va donc terminer le podcast sur cette note. Pour aller plus loin vous pouvez lire
- From Textile Mills to Taxi Ranks de Virinda Kalra
- Voir le reportage Divided Britain
- Solliciter Sonia pour avoir accès à sa mémoire.
Merci beaucoup pour ton temps. Je te souhaite beaucoup de succès dans ta vie personnelle, spirituelle et professionnelle inshallah.