B. La culture pakistanaise
II. Podcast : Sitaron say aagay jahan aur bhi hain
Oraq est un projet de voyage. Ensemble, nous allons écrire des pages sur les moments de ce voyage, des pages qui feront partie des chapitres et ces chapitres constitueront un livre. Un livre qui sera écrit sur les vies de diaspora pakistanaise en France. Le but est de réunir des histoires, des expériences, des moments joyeux mais aussi des moments plus durs, des anciens mais aussi des plus jeunes sur leur vie franco-pakistanaise.
1. Introduction
Au delà des étoiles d’autres mondes t’attendent, De dévotion, d’autres épreuves t’attendent
Aujourd’hui, nous allons lire et expliquer un des poèmes les plus célèbres d’Allama Iqbal. Avant de commencer, j’aimerais juste ajouter quelques mots sur le poète. J’ai emprunté cette introduction de travail de @zirrar stories sur instgram. Il se consacre au projet d’offrir une traduction des œuvres d’Allama Iqbal en anglais qui sont plus fidèle au sens et gardent la beauté des rimes. Vous pouvez suivre et/ou soutenir son Iqbal Project.
Muhammad Iqbal est né le 9 nov. 1877 à Sialkot en Inde et il grandit sous le joug de colonialisme britannique. Il fait ses études d’abord en Inde puis à Cambridge et enfin en Allemagne. De retour dans son pays, il met à jour une société occidentale, prétendument « moderne » qui leurre les jeunes musulmans, mais qui en vérité est profondément superficielle et corrompue jusqu’à la moelle. C’est ironique que la couronne britannique lui discerne le titre du chevalier pour son chef d’œuvre Israr-e-Khudi, écrit en persan sans même en saisir le sens. Ce livre, en effet, pousse les musulmans à agir contre l’oppression.
Iqbal porte élégamment plusieurs chapeaux : c’est Le plus important intellectuel du monde musulman du 20ème siècle. Avec des diplômes de droit, il est philosophe, un poète et un éminent érudit. D’ailleurs, il est très influencé par l’islam dans la région de Hijaz, des Arabes, par les histoires des prophètes, par le Quran, par les anges d’Allah (swt) et par le brillant poète perse Mawlana Jalaluddin Rumi.
Il a rendu l’hommage à l’ourdou et le persan comme nul autre. Par opposition des jeunes qui ont tendance à se tourner vers les langues occidentales comme gage de modernité. Iqbal démontre et expose les bijoux de ces langues qui sont aujourd’hui que l’ombre d’elles même parasitées par l’anglais.
Aujourd’hui beaucoup de gens lisent et écoutent Iqbal avec beaucoup de révérence, mais au vu de langage soutenu employé et la complexité de message convoyé, les gens ont du mal à contempler ses vraies pensées, plus particulièrement ceux qui ont migré vers des terres où l’ourdou n’est pas parlée.
S’inscrivant dans l’effort de rendre sa poésie plus accessible, je me permets d’essayer d’expliquer un de ces poèmes aux franco-pakistanais, mais aussi à un public beaucoup plus large des francophones.
Nous allons donc sans plus tarder lire le poème en Ourdou.
Je vais maintenant expliquer le poème strophe par strophe. Chaque strophe étant composé de deux vers. Nous allons lire la strophe, sa traduction en français, nous allons expliquer les mots difficiles et ensuite aborder le sens apparent et sens spirituel.
2. Premier shair
Au delà des étoiles d’autres mondes t’attendent,
De dévotion, d’autres épreuves t’attendent
Mots difficiles :
Dans les mots difficiles je vois que le mot Ishq : En ourdou on a trois mots pour désigner l’amour. Piyar, mohabat et enfin Ishq. Ishq étant le stade ultime de l’amour, on pourrait dire que c’est un amour passionnel. Iqbal a utilisé ce mot désigner diverses choses dans sa poésie tel que le Quran, L’ange Gabriel , Le prophète Muhammad (saw), etc. Ici, Iqbal utilise ce mot pour désigner la volonté de réussir, la persévérance, le désir de connaissance, etc[1]
- Le sens premier de cette strophe est que: Si les missions d’exploration t’ont amené aux portes des étoiles, ne baisse pas les bras, tu peux aller encore plus loin. Iqbal incite les gens à viser l’excellence car une personne qui arrive à toucher les étoiles a d’une certaine façon déjà réussi sa vie en tant qu’astronome ou astronaute. Il dit que : dans cette quête spatiale, ta connaissance être mise à rude épreuve. Il faudra peut être se remettre à étudier et passer d’autres cap. On peut aussi interpréter le deuxième vers comme étant adressé aux scientifiques devenus agnostiques ou athées se basant sur leur parcours scientifique. Iqbal dit que renier Dieu c’est une première étape de réflexion et non l’aboutissement.
- Le sens spirituel de cette strophe est que: Lorsque le monde de la physique s’arrête au étoiles et au troues noirs (c’est l’état actuel des choses), la spiritualité nous ouvre d’autres portes au delà des étoiles et consistent en plusieurs d’étapes. On sait qu’Allah a crée 7 cieux et autant de terres selon le verset 12 de sourate 65[2] et les étoiles sont encore la limite du premier ciel. Les 6 autres cieux se déroulent au-delà dans un continuum selon le verset 3 de la surate 67.[3]
3. On passe au 2eme shair
Ces vents ne sont pas stériles de vie
Des centaines de caravanes ici s’étendent
Dans les mots difficiles je vois que le mot Tahi : qui veut dire vide
- Le sens premier de cette strophe est que: L’homme a d’abord cru que seul l’espèce humaine était dotée de vie. Puis petit à petit il a découvert que les animaux, les végétaux étaient aussi vivants. Peut être qu’un jour, qui sait, on découvrira que les minéraux sont eux aussi dotés de la vie.[4] L’air que nous respirons n’est pas stérile non plus. Ce virus qui est entrain d’embêter le monde est aussi une forme de vie. Ainsi de multiples formes de vie sont également entrain de parcourir ce chemin. Cette strophe peut être interprétée comme une forme d’encouragement : il y a la vie partout et du mouvement partout. Ce mouvement définit la vie et toi aussi, mon lecteur rejoint une de ces caravanes et fait quelque chose de ta vie, sinon progresses dans ce que tu fais déjà. Mais le lecteur peut aussi y voir une forme d’injonction : Fait en sorte que tu fasses partie de ces gens qui prennent part au progrès scientifique, technologique, philosophique ou quelque soit le domaine.
- Le sens spirituel de cette strophe est que: Dans l’exploration de l’espace aujourd’hui nous n’avons pas trouvé de trace vie ailleurs que sur la planète terre mais nous apprenons à la lecture de Quran l’existence de l’enfer[5], du paradis[6] et alam-barzagh[7] un monde où les âmes vont attendre après la mort jusqu’au jour de résurrection. Nous savons aussi que lorsque que nous dormons nos esprits rejoignent Allah[8] Le lecteur est encouragé à percer le secret de ces processions invisibles entre les cieux dans le but de les voir et à terme les rejoindre.
4. 3ème shair
Ne te limite pas au monde de couleurs et senteurs
D’autres jardins, d’autres foyers t’attendent
Dans les mots difficiles je vois le mot Qana’at : qui signifie se contenter et le mot Rang-o- bu : qui signifie couleurs et senteurs
- Le sens premier de cette strophe est que: Ne te contente pas ce que tu vois et tu sens c’est-à-dire au spectre visible de la lumière et les limites de sens olfactive. On sait que le spectre lumineux comporte aussi les ultraviolets et les infra rouge. Le monoxyde de carbone n’a pas de signature olfactive. Au-delà de ces deux sens cités on peut l’étendre à tout les sens, et donc à tout ce qu’on connait. Iqbal demande qu’on ait l’esprit assez aventureux pour sortir de nos zones de conforts. Pour aller coloniser Mars par exemple mais aussi qu’on sorte d’un cercle social pour entrer dans un autre. Qu’on ait le courage d’aller s’installer dans une autre région, pays ou continent. Qu’on évolue de classe sociale en classe sociale. Qu’on passe de statut d’illettré à éduqué. En faisant honneur à la vie qui est synonyme de mouvement.C’est aussi un message d’encouragement : si tu n’arrive pas dans un domaine, essaie un autre. Jusqu’à ce que t’y arrives. Que tu trouves ton truc. Où ton Ishq pourra être testé.
- Le sens spirituel de cette strophe est que: Ne te contente pas de ce que tu vois et sens ou ce que tu expérimentes avec tes cinq sens. Essaie d’ouvrir une fenêtre vers ton âme et fais des efforts pour le paradis qui t’a été promis.
5. 4ème shair
Ne t’attriste pas si tu perds un refuge
D’autres occasions de s’inquiéter t’attendent
Dans les mots difficiles, je vois le mot Nashayman : qui veut dire un foyer et le mot Ah-o-faghan : qui signifie pleurer, s’attrister, s’inquiéter.
- Le sens premier de cette strophe est que : Si tu as perdu une maison, une opportunité, une chose qui était source de calme pour toi, tes parents, tes grands-parents…C’est certes triste mais tu dois essayer de te reconstruire et aller de l’avant. Tu redeviendras prospère et de nouveaux problèmes apparaîtront par exemple les problèmes de couples après le mariage, des différends avec les enfants, une grève des employés, changement de réglementation affectant ton entreprise…Ainsi, il demande au lecteur de ne pas considérer ses problèmes comme la fin de monde, mais de les prendre comme une promesse d’amélioration certaine.
- Le sens spirituel de cette strophe est que : Le nashayman ici peut être considéré comme la réussite dans ce bas-monde. Iqbal suggère donc que ne pas s’attrister si on ne réussis pas dans ce monde, car on peut toujours faire des efforts pour le suivant qui est éternel. Car là, ce serait vraiment un échec et s’attrister et s’inquiéter pour cela serait légitime du fait de son caractère éternel.
6. 5ème shair
T’es un aigle, ta vocation est de voler
D’autres cieux devant toi t’attendent
Pas de mots difficiles dans cette strophe.
- Le sens premier de cette strophe est qu’ Iqbal encourage les gens à s’inspirer de Shaheen. qui veut dire l’aigle et est un motif récurrent dans la poésie d’Iqbal. C’est un symbole fort et majestueux, ayant une capacité de vol de plus de 8h[9] à des altitudes avoisinants 3800m[10]. Son occupation première va être de comprendre les courants de vents et s’en servir pour s’élever pour atteindre de sa destination. La comparaison ne peut que motiver les lecteurs. Iqbal les incite à voler de plus en plus haut peu importe le point de départ et ne pas se limiter à un domaine de spécialisation, mais vraiment s’ouvrir à tout ce que le monde peut offrir.
- Le sens spirituel de cette strophe est que : de la même façon qu’on doit s’efforcer de s’améliorer dans ce monde, Allah demande à ses sujets de s’améliorer en Taqwa[11]. Taqwa étant la crainte d’Allah, mais aussi la dévotion, l’Ishq que nous avons évoqué plus haut. Sur le chemin de Taqwa, il y a de la marge d’amélioration à tous les niveaux. Iqbal incite les musulmans à fixer l’excellence comme objectif dans le deen, où le chantier est énorme et des axes de travail multiples.
7. 6ème shair
Ne te perds pas dans l’alternance de ces jours et nuits
D’autres mesures spatio-temporelles t’attendent
Dans les mots difficiles, je vois Zaman-o-makan : qui signifie espace spatio-temporel.
- Le sens premier de cette strophe est que: Ne te perds pas dans ton « métro boulot, dodo », c’est à dire dans ton quotidien, essaie de voir plus grand et de réfléchir au sens de ta vie et ce que tu pourrais apporter à ce monde. Il demande aussi à réfléchir à d’autres dimensions qui pourraient exister comme dans Interstellar, les héros atterrissent sur une planète où un jour équivaut à 7 ans terriens. Dans l’univers, il y a d’autres planètes avec d’autres rythmes de vie et d’une certaine façon toutes les espèces vivantes n’ont pas le même rapport temporel que les humains. C’est donc une invitation à une ouverture d’esprit, à penser en dehors des conventions établies.
- Le sens spirituel de cette strophe est que: ne te perds pas dans le shab-o-roz qui représentent ce bas monde. Mais prépare aussi ta vie dans l’au-delà. Tes bonnes actions te mèneront au Paradis et tes mauvaises actions en l’enfer. Donc fait en sorte de travailler sur ta spiritualité, sur ta réflexion, sur le contrôle de ton nafs, le cœur. On doit aussi se présenter au jour de jugement dernier selon la surate 75 dans le Quran.
8. 7ème shair
Sont révolus les jours où j’étais seul dans ma philosophie
D’autres sympathisants maintenant m’attendent
Dans les mots difficiles, je vois Anjuman : qui signifie mehfil, un rassemblement et Razdaan : qui signifie confident.
- À la dernière strophe, je vois qu’un sens : Le poète dit que les jours où, j’étais seul à enseigner cette philosophie sont révolus. D’autres commencent à penser comme moi. Qui sont d’accord avec ma philosophie. Et on peut remarquer qu’Iqbal fait référence à lui-même dans cette dernière strophe respectant la convention d’écriture de ghazal rappelé par Sarah Awan dans le podcast précédent.
9. Conclusion
Nous avons atteint la fin du poème. N’oubliez pas qu’un poème est toujours sujet à interprétation. J’ai partagé avec vous ma compréhension des choses. Vos commentaires et d’autres interprétations intéresseront tout le monde.
Pour finir, je dirais juste que nous savons tous que la qualité prime sur la quantité. Ainsi je vous conseille de vivement d’aller en profondeur des poèmes d’Iqbal lors de vos lectures. Leur compréhension complète vous sera plus bénéfique qu’une foule des vagues références qui terniront avec le temps.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=3D4smkF-Z64
[2] https://quran.com/65/12
[3] https://quran.com/67/3?translations=131
[4] https://www.youtube.com/watch?v=i-KjOA7F5iM
[5] https://quran.com/16/29?translations=31
[6] https://quran.com/89/30?translations=31,136
[7] https://quran.com/23/100?translations=31
[8] https://quran.com/39/42?translations=31
[9] http://ecole.aulas.pagesperso-orange.fr/travaux/aigle.htm#6)%20La%20mani%C3%A8re%20de%20voler%20:
[10] https://www.bfmtv.com/animaux/vol-d-aigle-en-camera-embarquee-des-images-a-couper-le-souffle_AN-201403280014.html#:~:text=Un%20sp%C3%A9cimen%20a%20%C3%A9t%C3%A9%20%C3%A9quip%C3%A9,vol%20totale%20de%20cinq%20heures.
[11] https://www.youtube.com/watch?v=5t2BKoga_-M
N’hésitez pas à voir ma page Poems pour aller plus loin !